S'occuper de soi, est-ce de l'égoïsme ?




Soirée discussion du lundi 2 octobre sur le thème :

      S'occuper de soi, est-ce de l'égoïsme ? 


Notion très répandue dans le domaine du développement personnel, s'occuper de soi pourrait être considéré comme un simple phénomène de mode, tant il est vrai que pour un grand nombre de personnes cela est loin d'aller de soi. Même si on peut noter une évolution certaine parmi les nouvelles générations, la majeure partie des patients souffrant de burn out, de dépression, d'épuisement, confient s'occuper énormément des autres, mais n'ont pas de réponse à la question fatidique : "Et vous, qui s'occupe de vous ? "

Alors pourquoi cette tendance à l'altruisme, au dévouement, est-elle si ancrée, si répandue

On peut déceler deux points structurels :

  • En premier lieu, l'influence de notre culture judéo-chrétienne, qui prône le sacrifice, l'oubli de soi. Faire passer les autres avant soi est largement valorisé. D'autant plus que c'est une situation que connaissent bien les parents, par exemple, qui ont à coeur de privilégier le bien-être de leurs enfants, même si c'est au détriment du leur. Comme une sorte de programmation, largement relayée par la religion. 
  • Il y a aussi le fait que nous sommes issus d'une société qui était auparavant beaucoup plus collective, fonctionnant par groupes. La solidarité, qu'elle soit ouvrière, paysanne, etc... était alors une question de survie, et l'intérêt du groupe passait toujours nécessairement  avant l'intérêt de l'individu, pour des questions de sécurité, de cohésion.
Il ne s'agit bien sûr pas là d'une liste exhaustive, mais juste de quelques éléments de réflexion. 

  • Sur un plan plus personnel, ces données structurelles peuvent être renforcées par l'environnement familial. On le retrouve par exemple concernant les aînés, en particulier les filles, à qui l'on donne comme mission de s'occuper des petits frères et soeurs. Ou encore chez les enfants parentalisés très jeunes, qui prennent leurs parents en charge, de façon matérielle parfois, mais surtout psychologique. L'enfant fait tout pour faire de ses parents de bons parents, c'est une nécessité de survie pour lui. Et si le parent est déficitaire, l'enfant peut aller très loin dans le désir de le protéger, et ainsi se décaler de ses propres besoins. 
On voit donc que cet élan vers les autres a des racines très profondes. Et aussi que c'est très rarement dans un but complètement désintéressé. Presque à chaque fois, me^me si nous n'en sommes pas conscients, il y a le but plus ou moins avoué d'en retirer quelque chose, pour qu'en retour les autres s'occupent de nous. 

      Ce système présente toutefois quelques inconvénients
Il génère notamment un certain nombre de frustrations : le but recherché est rarement atteint, on a beau se sacrifier pour les autres en permanence, ils ne semblent même pas le remarquer, ou alors ils trouvent ça tout à fait normal. Et pour cause... A force de ne pas se respecter, de s'oublier, les autres finissent aussi par ne pas nous respecter, par nous oublier. 
Ce système présente aussi un assujettissement, une dépendance au regard de l'autre, une attente de ce que va en dire l'autre, qui maintient dans un état extrêmement infantile. L'existence finit par dépendre du regard, de l'attention de l'autre.
Il y a donc toute une partie de soi qui n'y trouve pas son compte, qui souffre, et qui va même finir par en vouloir à l'autre de cet absence d'intérêt, même si on l'a soi-même provoquée. On finit pas devenir ce qu'on appelle "passif-agressif". Rien n'est dit ouvertement, mais la rancune s'exprime par des petites piques, des réflexions, des remarques culpabilisantes, par exemple (le fameux : "après tout ce que j'ai fait pour toi" !)
Frustration et dépendance, donc, mais aussi décentrage. Décentrage de soi-même, où l'autre devient plus important. Décentrage aussi "géographique", dans le sens où on va être plus attentif à l'extérieur qu'à l'intérieur, plus vigilant à capter le moindre signe venant du dehors qu'à écouter la petite voix du dedans, de notre propre centre. 

      Il est donc important, et même fondamental, de s'occuper de soi, mais concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? 

Viennent à l'esprit tout de suite des choses assez répandues : prendre un bain, aller chez le coiffeur, s'offrir un massage, etc... prendre soin de son corps, de son apparence. 
C'est un bon début, mais ça ne saurait s'arrêter là. Il ne s'agit pas seulement d'argent, ou de temps passé, à s'occuper de notre physique, de notre apparence, mais plutôt d'attention (bienveillante) portée à nous-même, à l'ensemble de notre personne, et surtout à l'intérieur de nous. 
Pas facile à faire quand on n'en a pas l'habitude. 

D'autant plus que si s'occuper de soi veut dire se recentrer, tourner le regard vers l'intérieur, qu'est-ce qu'on va y trouver, dans cet intérieur ? 
Pour beaucoup, il y a là une crainte assez forte. 
  • Si pendant tout ce temps je me suis occupé(e) des autres, de l'extérieur, est-ce que dedans ça ne risque pas d'être un peu vide ? 
  • Si pendant tout ce temps je n'ai pas voulu voir mes frustrations, mes déceptions (voire même si je les ai déchargées au fur et à mesure sur l'extérieur) est-ce que je ne vais pas retrouver à l'intérieur  toutes ces parties de moi que je ne veux pas voir parce qu'elles me donnent trop le sentiment d'être mauvais(e) ? 
Cela peut être assez difficile à supporter, et renforcer le besoin de s'occuper des autres pour ne pas ressentir le mal-être intérieur. 

On voit donc que ça demande un certain courage, et une bonne dose de lucidité, d'aller s'occuper de soi, de ce qui existe à l'intérieur de soi :
  • Prendre en charge soi-même ses besoins, ses frustrations, ses attentes, plutôt qu' attendre que les autres le fassent
  • Accepter sa part d'ombre, ses côtés moins glorieux, plutôt que les fuir ou les déverser sur les autres
  • Affronter son vide intérieur plutôt que chercher à le combler à tout prix, par de l'activisme par exemple. 

Aller traiter le mal-être là où il est, c'est vraiment le contraire, en fait, de l'égoïsme, puisque ça nous amène à :

  • Eviter de rendre les autres responsables de nos misères
  • Etre moins en attente, moins en demande, moins exigeant, et ça allège la relation
  • Augmenter notre seuil de tolérance (on est moins agacé par les défauts des autres lorsqu'on a reconnu les mêmes à l'intérieur de nous) 

      

      Devenir de bonne compagnie pour soi-même, un Bon Parent pour soi-même, nous rend en fait plus léger et plus agréable pour les autres.






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