Le manque, suite...




 
Il s’agissait donc, dans l’article précédent sur ce sujet vaste et essentiel, de regarder le manque en face pour l’apprivoiser. Pas vraiment pour s’en faire un ami. Quoique…. Du manque naît le désir, qui nous met en action pour obtenir satisfaction. C’est donc un moteur important. Il faudrait donc le contenir, le circonscrire, pour le confiner dans son rôle moteur, et ne pas, ne plus, se laisser envahir, engloutir, anéantir dans ce gouffre abyssal.

A l’origine était la mère, cet autre qui, après nous avoir mis au monde, devait en atténuer les rigueurs en nous prodiguant nourriture, chaleur, tendresse et amour, afin que le passage de la dyade fusionnelle à l’autonomie terrestre se fasse sans trop de heurts et de dommages. 

Sauf que … Trop souvent, ça ne s’est pas passé comme ça. Prise par ses occupations, les nécessités du quotidien, ses propres difficultés, ou bien encore ne sachant pas, n’osant pas, bridée par les diktats imbéciles de ceux qui croient savoir et n’y connaissent rien (« Laisse-le pleurer, ça lui fera les poumons », « Ne t’en occupe pas trop, sinon tu l’auras tout le temps dans les jambes », ou quand la sécheresse de cœur passe pour de la sagesse…) notre mère adorée d’où devait nous venir le salut nous a laissé un peu trop longtemps livrés à nous-mêmes à un stade où nous n’étions pas encore prêts à le supporter. 

Le manque originel, c’est non seulement d’avoir eu faim, d’avoir eu soif, d’avoir eu froid, mais surtout que personne ne soit venu, que personne n’ait répondu à nos appels. D’avoir attendu, encore et encore, de s’être senti seul, abandonné, dévoré vivant par un loup acharné, rongé jusqu’à l’os par des colonies de fourmis cannibales.
Et personne n’est venu. En tous cas pendant trop longtemps, ou pas de la bonne façon, avec des mains froides, des gestes brusques, sans un mot, sans un regard, sans partage, sans échange pour rassurer, consoler, réchauffer.

L’autre aurait dû être là, mais il ne l’a pas été. Et seule subsiste cette quête éperdue de l’enfant en nous, affamé de tendresse, avide de douceur, implorant la chaleur. O, que quelqu’un vienne enfin !

Alors on compense, comme on dit. Pour ne pas décompenser et jeter définitivement l’éponge. On se met à la recherche effrénée d’un autre qui pourrait enfin combler ce vide. On se remplit de substances diverses et variées (nourriture, alcool, drogues) pour faire taire les pleurs déchirants. On s’étourdit d’activités en tous genres pour ne pas les entendre. 
Ou bien on se replie sur soi-même, résigné à cette solitude sans fin.

On est désespérément tendu vers l’extérieur, à attendre, comme l’enfant qui tend les bras vers sa mère, ses parents, pour enfin être pris et serré contre son cœur.
En vain.
Rien ne peut combler cette faim insatiable. Ce qui n’a pas été ne peut pas être effacé. 

Et pourtant….
Pourtant chacun de nous, chacune de nous, a à l’intérieur de lui, d’elle, une bonne mère capable de répondre aux besoins ce cet enfant souffrant.
Chacun, chacune, sait relever un enfant qui est tombé, consoler un ami dans la peine, rassurer un proche dans la détresse.
Mais prendre soin de soi, quelle drôle d’idée. 

Voilà peut-être ce qu’il nous faut apprendre : devenir une bonne mère pour notre enfant blessé à l’intérieur de nous.  

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